Réunion de crise


Réunion de crise au siège de la société Eternal Sunglasses S.A. L'heure est grave à tel point qu'il est 15h30. Autour de la table de pique-nique et de réunion sur laquelle ont été servis quelques biscuits écrabouillés et un bidon d'eau tiédasse, les visages sont fermés.

Le chef comptable ne prend pas beaucoup de risques en rappelant les statistiques du projet en cours de réalisation nommé "grande boucle". À cet instant, elles sont bonnes. 80 kilomètres parcourus sur 125 à plus de 20km/h.

Le responsable technique le coupe sèchement...



en lui disant que tout le monde sait cela mais que tout le monde sait aussi que la plupart des muscles sont en surchauffe, au bord de la rupture, et que le profil des 45 kilomètres restants va faire effondrer ces beaux chiffres trompeurs. Selon lui l'objectif des moins de 7 heures est inaccessible, en supposant qu'on arrive au bout.

Le responsable des achats enchaîne en indiquant que si les vivres sont de piètre qualité gustative, il y en a en quantité suffisante mais que les réserves d'eau sont à un niveau inquiétant comme chacun peut le constater et qu'il faut organiser un rationnement. 

Le responsable de la maîtrise, parfois appelé sous cape "responsable de la traîtrise", insiste sur le trop grand nombre d'arrêts injustifiés uniquement pour prendre des photos à but touristique et dénonce une utilisation abusive des échanges de données à des fins personnelles, le tout grévant à la fois les performances et le budget du projet. Ah ! Si on l'avait écouté, on en serait pas là.

Après quelques secondes d'un lourd silence, le PDG se lance dans une de ces diatribes dont il a le secret et qui font sa réputation. En substance, il hurle que tout le monde va se sortir les doigts du cul sinon tout le monde est viré.

Sans se démonter, le responsable syndical rétorque que, dans ces conditions, une grève surprise n'en serait pas une, de surprise.

C'est alors qu'une jeune femme à vélo passe à côté de l'assemblée en crise. Toute blonde, toute bronzée, toute pimpante et des jambes qui n'en finissent plus. Avec un sourire aussi charmant qu'éclatant elle lance simplement "Bon courage !" et s'éloigne comme elle est venue en donnant l'impression de voler sur la route.

Tous les hommes bombent automatiquement un peu le torse en répondant en chœur "Merci !", un sourire un peu niais aux lèvres. Puis ils se dévisagent quelques instants, sans un mot, comme s'ils se voyaient pour la première fois. Le PDG marmonne seulement "Putain on a l'air en si mauvais état que ça ?". Au bout d'un moment de réflexion, le responsable technique répond simplement "Bon, on y va ?" ... et chacun se remet au travail.

En reprenant sa place le PDG, qui se demande en permanence  pourquoi tout est si difficile,  songe qu'il aurait peut-être dû embaucher de l'éternel féminin, beaucoup d'éternel féminin.